III - LA PUBLICITE DANS L'ART - EXPLICATIONS DE PLUSIEURS OEUVRES

Carrefour Sèvres - Montparnasse, juillet 1961
Carrefour Duroc, un bloc d’affiches impressionnant de 8 mètres de long vient de se détacher d’une palissade. François Dufrêne qui passait par là en avise aussitôt Villeglé, archéologue au pied levé, qui arrive. Il leur faudra trois taxis (à l’époque, ils avaient des galeries) pour finalement l’amener et l’entreposer au Musée national d’art moderne. (Bon choix : elle rentrera dans la collection en 2002.). Les images (publicitaires) sont encore lisibles à défaut des slogans. Une poésie s’en dégage en miroir de l’événement.
À droite dans un encadrement orange sur fond violet, un personnage à la Savignac qui prendrait ses jambes à son cou (comme le Minotaure de Picasso) emportant sous le bras un « desse… ». A gauche, en un autre encadrement, déchirant l’espace, un petit oiseau « en couleurs » tenant en son bec une photo. « Photo » c’est écrit là-haut et c’est comme en miroir une métaphore : Villeglé emportant, « volant » l’image ! « Un voleur s’évadant du réel » a dit Arnaud Labelle-Rojoux.

Rue Desprez et Vercingétorix – « La Femme », 12 mars 1966
C’est la Femme avec un grand F… comme fantasme ! Le noir et blanc photographique dégage sa silhouette toute en courbes souriantes et élégantes. Le reste est en couleurs, manière de « cristallisation » (voir De l’Amour de Stendhal). La beauté du modèle se conjugue à la beauté du geste par la grâce des effeuillements et des lacérations. On devine une photo de mode. On se souvient de William Klein, photographe de la ville américaine, de ses murs recouverts d’écriture, « Broadway by light », de la lumière des mots.
Le modèle (Marianne ?) semble en balance poétique, voire politique : à sa droite…, une affiche lacérée de François Mitterrand, à sa gauche, un drapeau bleu blanc rouge qui flotte et le nom de de Gaulle. La France partagée, la France déchirée.Cependant, quel qu’en soit l’agrément, à travers ces images Jacques Villeglé voit comme « des arlequins blessés qui "libèrent la résonance intérieure des choses et des êtres", qui démasquent le vide de notre société ».

Rue René Boulanger - Boulevard Saint-Martin, juin 1959
Difficile de dire de combien d’épaisseurs d’affiches l’œuvre s’est faite. C’est comme une tapisserie où grouilleraient les signes et les couleurs sans que jamais ils ne s’imposent par la grâce de déchirures juste faites à temps, on ne sait pourquoi ni comment. C’est aussi dans ce processus sans intention que la beauté apparaît : « la beauté est là où vous n’êtes pas » (Krishnamurti).Et dans l’encadrement de bandeaux bleus comme une transparence de vitrail serti de noir : palimpseste de couleurs brutes dont jouit l’œil fasciné sans pouvoir se fixer à un détail. Mais si on prend le temps de regarder, à travers l’écorce du noir papier, ces couleurs emprisonnées qui se font la belle, c’est comme le temps qui se donnerait à voir, comme en suspens depuis juin 59.


Boulevard de la Villette, mars 1971
A gauche les restes d’une affiche commémorative d’une manifestation ou cérémonie sur les Champs-Elysées, peut-être en hommage au Général de Gaulle mort en 1970. Boulevard de la Villette, le titre de l’œuvre pourrait prêter à confusion alors que, dans le fond, se dessine l’Arc de Triomphe. C’est une photo en noir et blanc (malgré les drapeaux colorisés des premiers plans) qui s’ouvre comme en fenêtre au sein des multiples lacérations.A droite, une patineuse d’« Holiday on ice », Parque moderne, dont les patins pourraient avoir lacéré l’Histoire ! Sexy « repos du guerrier », elle semble encore proposer ses charmes.On peut lire tout en bas à droite : « à votre service » en lieu et place d’une signature et tout en haut à gauche, le logo du TNP sous lequel se tient le théâtre de l’événement.Le regardeur croit avoir fait l’œuvre… mais le mystère subsiste !

Rue du Grenier Saint-Lazare, mardi 18 février 1975
Rue du Grenier Saint-Lazare, 1975 est la première des 40 affiches arrachées annonçant l’exposition de Jean Dubuffet à l’ARC : en divers endroits de Paris, il s’empare d’une même affiche, différemment lacérée comme autant de variations sur un même thème.Le principe d’appropriation est, ici, une manière d’hommage à Alfred Jarry. Celui-ci avait ni plus ni moins « ravi » un texte déjà existant, qui deviendra Ubu roi. Villeglé voyait une parenté entre le bonhomme de Jean « D’Ubu/ffet » et celui d’Alfred Jarry, appelé « Bosse-de-Nage ».
Il apprécie : « un beau titre, "l’Opéra de Quat’sous" en haut à gauche de celle-ci, et comme un libellé de fabrication : le mot "anarchiste" en bas à droite. » L’Opéra de Quat’sous est une œuvre de 1928 de Bertolt Brecht et Kurt Weill, comme l’affiche elle-même le spécifie. Cela raconte comment, dans les bas-fonds de Londres, Peachum le « roi des mendiants » tente d’empêcher le mariage de sa fille Polly avec Mackie-le-surineur. Sur l’affiche, la mariée lacérée est à deux doigts d’être mise à nu ! Et sur celle collée par-dessus, on devine la signature de Jean Dubuffet, elle-même lacérée. La signature se tient au-dessus du dessin comme un phylactère dans une bande dessinée.
En flânant de la Rue du Grenier Saint-Lazare à la Rue de la Perle, jusqu’à la Rue de Thorigny, c'est-à-dire en contemplant les œuvres où s’inscrit l’affiche de l’ARC, on assiste en des décors différents à « l’entrée clownesque » du petit bonhomme de Jean Dubuffet.


La Genèse – Boulevard de la Liberté, Agen, 12 mai 1997
Le panneau est composé d’affiches de concerts de musiques amplifiées, techno et autres. « Autant au début, dit Villeglé, je n’aimais pas qu’on lise aisément le nom des marques lorsqu’elles figuraient sur les affiches que je choisissais autant, avec ces musiciens, cela ne me gêne pas qu’on lise le nom de leur groupe parce que chacun n’existe qu’à l’intérieur d’un ensemble, qu’eux aussi en fait sont des anonymes, qu’il y a souvent quelque chose d’utopique dans leur métier. »Pas toujours, ainsi, dans la Genèse, il est question d’individus comme Steve Coleman et Eddy Mitchell dont l’affiche représente, précisément, un colleur d’affiche au pied d’un mur de briques, affichant à l’ancienne « Monsieur Eddy » a contrario du « all-over » de la Genèse assez violent et sans joliesse. C’est sûr : [no one is innocent]. Ce groupe de rock alternatif français fait la part belle à la fusion, dans un style proche de « Rage against the machine ». Thierry Molinier, membre du groupe, confie : « Quand [no one is innocent] était placardé partout en France, nous étions en plein au milieu de l’affaire du sang contaminé. Tout le monde était persuadé qu’il y avait un rapport entre l’un et l’autre ». D’un autre coté, « Louise attacks » !


1 commentaire:

  1. Bonjour, pourais-je savoir où est conservé l'oeuvre Boulevard Saint Martin - Rue René Bloulanger ? Merci d'avance.

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